En 1997, l'union créative entre la chanteuse islandaise Björk et le designer britannique Alexander McQueen a donné naissance à l'une des couvertures d'album les plus iconiques de l'histoire de la musique moderne. Le kimono d'Alexander McQueen créé spécialement pour la couverture de l'album "Homogenic" de Björk représente bien plus qu'un simple vêtement: il symbolise la fusion parfaite entre tradition japonaise et vision avant-gardiste, entre artisanat ancestral et haute couture contemporaine. Cette collaboration extraordinaire entre deux génies créatifs a produit une image qui continue de fasciner et d'inspirer, plus de 25 ans après sa création.

Sommaire:

La genèse d'une collaboration légendaire
La création du kimono: entre tradition et modernité
Une séance photo mémorable
Le collier visionnaire: un complément essentiel au kimono
L'héritage et la valeur culturelle du kimono de Björk
Une fusion parfaite entre tradition et innovation

La genèse d'une collaboration légendaire

L'histoire de cette collaboration commence lorsque Björk découvre une photographie de Devon Aoki réalisée par Nick Knight pour le magazine Visionaire en février 1997. Sur cette image, le mannequin apparaît avec une coiffure de geisha, vêtue d'une robe en soie orientale à col entonnoir profond issue de la collection "La Poupée" de McQueen. Captivée par cette esthétique à la fois sinistre et magnifique, Björk approche le trio créatif composé de Lee McQueen, Katy England et Nick Knight pour travailler sur la couverture de son album "Homogenic".

Pour cette nouvelle œuvre musicale, Björk souhaitait incarner un personnage puissant et surnaturel. Elle explique sa vision en ces termes:

Je voulais être représentée comme quelqu'un qui est mis dans une situation impossible, si impossible qu'elle doit devenir une guerrière. Une guerrière qui doit se battre non pas avec des armes, mais avec l'amour.

 

La création du kimono: entre tradition et modernité

Le kimono créé pour Björk n'était pas un simple accessoire de mode, mais une véritable pièce de haute couture réalisée à la main dans l'atelier londonien de McQueen. Conçu en satin damassé bleu et blanc, il était tissé avec des motifs de fleurs de prunier et doublé de satin écarlate oriental orné de médaillons à motifs foliaires.

Cette création s'inscrivait dans le contexte plus large de la collection "Eclect Dissect" que McQueen préparait alors pour Givenchy (Automne-Hiver 1997-98). Cette collection combinait des influences ethniques, tribales et culturelles du monde entier, avec de nombreuses références japonaises incluant des robes kimono, des broderies orientales et des coiffures inspirées des geishas.

Le kimono de Björk représentait parfaitement cette fusion culturelle chère à McQueen. Comme le souligne Andrew Wilson, biographe de McQueen, cette couverture montrait Björk en harmonie totale avec les thèmes explorés dans l'album: un hybride expérimental et avant-gardiste combinant des éléments historiques familiers avec une touche futuriste.

 

Une séance photo mémorable

La séance photo, dirigée artistiquement par McQueen et photographiée par Nick Knight, s'est avérée être une expérience intense pour Björk. La chanteuse raconte:

J'avais dix kilos de cheveux sur la tête, des lentilles de contact spéciales, une manucure qui m'empêchait de manger avec mes doigts, du ruban adhésif autour de ma taille et des sabots hauts qui m'empêchaient de marcher facilement.

Ce qui est fascinant dans cette collaboration, c'est l'efficacité avec laquelle le trio créatif a capturé l'image parfaite. Nick Knight raconte:

La photo que nous avons faite pour Homogenic, dont Lee McQueen était le directeur artistique, était le tout premier cliché que nous avons pris ce jour-là. Lee l'a vu et est rentré chez lui parce qu'il avait décidé que nous avions déjà la bonne photo. Björk a très patiemment supporté que je passe les trois heures et demie suivantes et 300 feuilles de format 10x8 à lui prouver qu'il avait raison !

Cette anecdote révèle l'œil infaillible de McQueen et illustre la confiance que les artistes avaient dans leur vision commune. Aucune autre photo de cette séance n'a jamais été publiée, soulignant la perfection immédiate atteinte lors de ce premier cliché.

 

Le collier visionnaire: un complément essentiel au kimono

Pour compléter cette tenue exceptionnelle, Björk portait un collier enroulé conçu par Shaun Leane. Cette pièce unique, commandée par Björk, s'inspirait des anneaux en laiton portés par les femmes de la tribu Kayan Lahwi, un groupe ethnique tibéto-birman du Myanmar.

Shaun Leane explique sa vision:

Je voyais la femme d'aujourd'hui comme une guerrière, romantique, forte mais aussi vulnérable.

Cette pièce a tellement marqué le créateur qu'il s'est ensuite lancé le défi de créer un ornement couvrant non seulement le cou, mais tout le torse, jusqu'aux hanches.

Ce collier a également été réutilisé dans le défilé parisien de la collection "Eclect Dissect" de Givenchy, démontrant comment les idées nées de la collaboration avec Björk ont été réinterprétées et développées dans le travail de McQueen.

 

L'héritage et la valeur culturelle du kimono de Björk

Le kimono de Björk a transcendé son statut de simple vêtement pour devenir une pièce d'histoire de la mode et de la musique. En 2016, il a été vendu aux enchères pour la somme impressionnante de 10 000 livres sterling, témoignant de sa valeur artistique et historique.

Plus récemment, l'image iconique de Björk portant ce kimono a été présentée dans l'exposition "Kimono: Kyoto to Catwalk" au Victoria & Albert Museum de Londres. Cette exposition, qui s'est tenue en 2020, présentait le kimono comme un vêtement dynamique en constante évolution, révélant sa signification esthétique et sociale à travers les siècles, tant au Japon que dans le reste du monde.

Comme l'explique la professeure Clare Johnston dans sa critique de l'exposition:

L'exposition se termine par une grande et diverse collection de kimonos modernes, dont de nombreux exemples démontrant son influence sur la mode, les textiles et les costumes de spectacle. On y trouve de nombreux exemples montrant l'influence de la silhouette du kimono dans le volume et la superposition, comme le kimono d'Alexander McQueen porté par Björk.

Cette inclusion dans une exposition majeure souligne l'importance culturelle de cette création et la façon dont elle illustre parfaitement la rencontre entre la tradition japonaise du kimono et la vision avant-gardiste de la mode occidentale.

Une fusion parfaite entre tradition et innovation

Le kimono d'Alexander McQueen pour la couverture de l'album Homogenic de Björk représente l'une des plus belles expressions de la façon dont la mode peut transcender ses frontières traditionnelles pour devenir un véritable médium artistique. Cette création incarne parfaitement la définition même du kimono qui, littéralement traduit, signifie "une chose à porter" - une définition qui semble bien modeste face à l'ampleur et au contenu extraordinaire qu'elle représente.

Cette collaboration entre Björk et McQueen nous rappelle que la mode, lorsqu'elle est portée par une vision artistique forte, peut dépasser sa fonction première pour devenir un véritable manifeste culturel. Le kimono d'Homogenic n'est pas seulement un vêtement magnifique, c'est aussi un symbole de la fusion entre Orient et Occident, entre tradition et innovation, entre artisanat et haute technologie - des thèmes qui résonnent profondément avec notre monde contemporain.

À travers cette création, McQueen et Björk ont réussi à capturer l'essence même de ce que la mode peut être à son meilleur: un dialogue entre les cultures, les époques et les disciplines artistiques, capable de nous transporter dans un univers où la beauté transcende les catégories et les frontières.

  • Création manuelle dans l'atelier londonien de McQueen en 1997
  • Réalisé en satin damassé bleu et blanc avec motifs de fleurs de prunier
  • Doublé de satin écarlate oriental orné de médaillons à motifs foliaires
  • Accompagné d'un collier enroulé créé par Shaun Leane inspiré des anneaux des femmes Kayan Lahwi
  • Photographié par Nick Knight pour la couverture de l'album "Homogenic"
  • Vendu aux enchères en 2016 pour 10 000 livres sterling
  • Exposé au Victoria & Albert Museum dans le cadre de l'exposition "Kimono: Kyoto to Catwalk"
  • Symbole de la fusion entre tradition japonaise et vision avant-gardiste occidentale